Pour assurer une vraie égalité des chances, les entreprises doivent examiner le recrutement, l’évaluation de la performance et la promotion

En 2011, la France a instauré des quotas pour la représentation des hommes et femmes dans les conseils d’administration. Dix ans plus tard, les hommes restent surreprésentés dans les plus hautes sphères des entreprises, notamment au comité exécutif. Ainsi, 86 % des femmes cadres trouvent que les inégalités dans les entreprises n’ont pas diminué pendant les cinq dernières années. La pandémie, avec son effet délétère sur l’avancée des femmes dans le monde du travail, risque de ralentir les femmes sur leur trajectoire professionnelle. Récemment, une proposition de loi vise à davantage ouvrir le leadership aux femmes par un quota de 40 % de femmes chez les cadres dirigeants d’ici 2030 pour les entreprises ayant au moins 1000 employés. De telles initiatives sont insuffisantes pour faciliter l’avancée professionnelle des femmes. Car celle-ci implique des systèmes de recrutement, d’évaluation, et de promotion qui, eux, font partie des obstacles auxquels les femmes font face.

Ces systèmes sont ancrés dans une vision particulière de la personne à la tête de l’entreprise : ce leader idéal est autonome, ambitieux, actif, imposant, a un emploi du temps flexible, dédie son temps aux activités professionnelles et n’a pas d’autres obligations. Ces caractéristiques correspondent largement aux croyances partagées associées aux hommes. Toute personne désirant grimper dans une entreprise est tenue à l’idéal du leader, notamment par les systèmes de recrutement, d’évaluation, et de promotion. Et tout écart de cet idéal, tel que le fait d’être une femme plutôt qu’un homme, est pénalisé.

Le problème des systèmes de recrutement, d’évaluation et de promotion est double. D’un côté, il y a leur formulation, qui repose implicitement sur l’idéal du leader. Un récent rapport du Conseil Supérieur de l’Égalité professionnelle entre les Femmes et les Hommes décrit les différents moments clés qui peuvent privilégier les hommes lors du processus de recrutement. Ainsi, les offres d’emploi sont souvent écrites d’une façon à décourager les femmes de postuler (via, par exemple, les images qui sont incluses, les intitulés d’emploi, le vocabulaire qui décrit le poste). Aussi, l’absence de standardisation des procédures de recrutement peut avantager les hommes, selon une récente étude de la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques.

L’évaluation de performance implique des critères tels que les présentéismes, c’est-à-dire le nombre d’heures qu’un employé est présent au travail. Les femmes étant encore tenues à s’occuper plus que les hommes des enfants et de la maison, ce présentéisme privilégie ces derniers. Les femmes sont évaluées plus sévèrement, reçoivent moins de feedback, et sont dirigées vers des rôles avec un moindre potentiel de promotion. Les promotions impliquent du réseautage, sur des terrains de golf ou dans des bars. Les femmes sont souvent exclues de telles activités, ou préfèrent ne pas y aller (parce qu’elles craignent le harcèlement sexuel).

D’une autre côté, les systèmes de recrutement, d’évaluation et de promotion sont mises en œuvre par des individus. Nous avons tous des biais inconscients, y inclus les femmes envers d’autres femmes. Nous jugeons autrui de façon biaisée, en nous appuyant inconsciemment sur des stéréotypes. Les stéréotypes les plus forts impliquent le genre (et aussi la race, l’âge, la capacité). Les femmes sont encore stéréotypées comme étant nourrissantes, bienfaisantes, gentilles, émotionnelles, présentes dans le domaine privé et ainsi aptes à des rôles comme la mère de famille.

En revanche, les hommes sont stéréotypés comme étant compétitifs, contrôlants, rationnels, présents dans le domaine public et donc particulièrement aptes à des rôles comme le leader. Quand nous sommes face à quelqu’un, nous invoquons ces stéréotypes genrés très vite, dans quelques millisecondes, sans en être conscients. Ces stéréotypes interviennent ainsi dans les recrutements, évaluations de performance et promotions. De nombreuses études montrent l’effet délétère des stéréotypes sur les personnes qui ne correspondent pas au stéréotype du leader, c’est-à-dire sur les femmes.

Que faire face à ce double problème affligeant les systèmes de recrutement, d’évaluation et de promotion ?

D’un côté, il faut réfléchir aux systèmes qui sont en place, et déterminer si les procédures impliquées dans ces systèmes ont tendance à systématiquement privilégier les mêmes personnes. Comment sont formulées les procédures de recrutement, d’évaluation de performance, et de promotion ? À quels moments est-ce que ces procédures peuvent privilégier certains individus ? Est-ce que les procédures reflètent les besoins et directions futurs de l’entreprise ou plutôt des traditions rarement remises en question ainsi que des stéréotypes dont l’entreprise n’est pas consciente ? Est-ce que l’entreprise a fait une analyse de ses procédures de recrutement, d’évaluation de performance et de promotion ?

D’un autre côté, il faut réfléchir aux personnes impliquées dans la mise en œuvre de ces systèmes. Est-ce que ces personnes agissent au sein de comités ? Est-ce qu’elles sont conscientes du fait que chacun de nous est affecté par des biais inconscients ? Est-ce que l’entreprise a mis en place des procédures pour empêcher les biais d’affecter les systèmes de recrutement, d’évaluation de performance et de promotion ? Est-ce qu’elle a développé des mesures pour éduquer ses cadres et employés sur les biais inconscients et pour les aider à les surmonter ? Est-ce que l’entreprise bénéficie d’un climat accueillant qui permet à tout et chacun à soulever des difficultés qu’ils vivent et des biais auxquels ils font face ?

Cela vaut la peine de s’attaquer à ces questions afin de s’assurer d’avoir en place des systèmes de recrutement, d’évaluation et de promotion qui permettent aux personnes d’accéder aux rôles qui leur correspondent le plus, peu importe leur genre. La responsabilité pour des systèmes non discriminatoires n’incombe pas seulement aux législateurs, mais aussi aux entreprises.

Photo adaptée de Felip1

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